●Dominique Vidal
Ce que voulait de Gaulle en 1966
●Dominique Vidal
?La France considère que les changements accomplis ou en voie de l’être,depuis 1949,en Europe,en Asie et ailleurs,ainsi que l’évolution de sa propre situation et de ses propres forces ne justifient plus,pour ce qui la concerne,les dispositions d’ordre militaire prises après la conclusion de l’Alliance.?C’est ainsi que,le 7 mars 1966,Charles de Gaulle—réélu trois mois plus t?t président de la République,mais au suffrage universel direct1,par 55%des voix contre 45%àFran?ois Mitterrand—annonce au président américain Lyndon Baines Johnson2le retrait de Paris du commandement militaire intégré3de l’Organisation du traitéde l’Atlantique nord(OTAN,créée en 1949).4
Concrètement,la France,précise le général,?se propose de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté,actuellement entamé par la présence permanente d’éléments militaires alliés ou par l’utilisation habituelle qui est faite de son ciel,de cesser sa participation aux commandements intégrés et de ne plus mettre de forcesàla disposition de l’OTAN?.Certes,elle?est disposéeàs’entendre avec ses alliés quant aux facilités militaires às’accorder mutuellement dans le cas d’un conflit oùelle s’engageraitàleurs c?tés?.Bref,elle?croit devoir,pour son compte5,modifier la forme de l’alliance sans en altérer6le fond?.
Un an plus tard,c’est chose faite:le 14 mars 1967,le général américain Lyman Lemnitzer,commandant suprême des forces alliées en Europe(Saceur)et des forces américaines en Europe,préside,à Saint-Germain-en-Laye,la cérémonie de départ.La bannièreétoilée,descendue et soigneusement pliée,sera hissée au nouveau siège de Casteau,près de Mons(Belgique).Au total,les Etats-Unis ont d?évacuer vingt-sept mille soldats,trente-sept mille employés et trente bases aériennes,terrestres et navales.Enfin,le 22 ao?t,les généraux Lemnitzer et Charles Ailleret,chef d’état-major de l’armée fran?aise,signent un protocole prévoyant le maintien des forces fran?aises en Allemagne sous le contr?le opérationnel de l’OTAN pour une mission et un temps donnés,en cas d’agression extérieure…
Pour les observateurs,cette décision n’aurait pas d?constituer une surprise:dès le 17 septembre 1958,moins de trois mois après son retour au pouvoir,de Gaulle avait envoyé—en vain — àl’Américain Dwight David Einsenhower7et au Britannique Harold Macmillan8un mémorandum9exigeant une?direction tripartite10?de l’Alliance.Et,depuis,il avait multiplié les prises de distance.Sa lettreàJohnson semble pourtant cueilliràfroid la presse parisienne11.
De droite,mais antigaulliste,L’Aurore12réagit le premier,dès le 8 mars:?On ne se paiera pas de mots,écrit AndréGuérin.La présence américaine pendant des années aétépour nous comme pour nos voisins la garantie,la seule,de nos libertés nationales.Le général semble estimer aujourd’hui qu’il n’y a plus de danger d’absorption communiste?Non,poursuit l’éditorialiste13,il entend aujourd’hui que les Américains s’en aillent.Supposons quand même qu’on n’oubliera pas de les remercier.?Le 11,le journal accuse de Gaulle,?au moment précis oùles Etats-Unis sont engagés tout entiers dans la guerre du Vietnam,bastion14avancédu monde libre en Asie?,de leur donner un?coup de poignard dans le dos?.
Philogaulliste15,Le Figaro attend le 11 mars pour réagir.AndréFran?ois-Poncet redoute non seulement la résurgence du?péril russe?(?Demain,un Staline peut rena?tre?,écrit-il),mais?d’autres dangers?:?Mao TséToung est un autre Hitler16.A sa place peut surgir un Gengis Khan17,un Tamerlan18,un Mahomet19qui,muni d’armes atomiques,entra?nera les populations affamées d’Asie et d’Afriqueàl’assaut des peuples nantis20et prospères,àl’assaut des Blancs et de leur civilisation.?
De cette philosophie du?choc des civilisations?avant la lettre,Combat21prend l’exact contre-pied22,le 12 mars.?Que l’Alliance atlantique se perpétue dans l’hypothèse,de moins en moins vraisemblable,d’une agression soviétique,soit.Mais qu’elle entra?ne la France dans toutes les aventures oùpourront s’engager les USA,c’est ce que refuse le général de Gaulle.Car,grisés23par leur puissance militaire et suivant un chemin habituel,les Etats-Unis entendent faire régner partout leurs conceptions.?Evoquant le risque d’une guerre avec la Chine,l’auteur de l’article,Jean Fabiani,s’interroge:?Au nom de quelle obligation la France serait-elle tenue de se lancer dans cette aventure??
Dès le 8 mars,L’Humanité24avait soulignéla singularité des communistes(qui représentaient encore unélecteur sur cinq):?Bien entendu,écrivait Yves Moreau,notre opposition au pacte atlantique a un caractère fondamentalement différent de celle du pouvoir gaulliste.Dès sa création,nous avons pour notre part dénoncéle bloc atlantique comme une nouvelle Sainte Alliance réactionnaire.?L’éditorialiste ajoutait néanmoins:?Quelles que soient les raisons qui ont inspiréla démarche du général de Gaulle auprès du président Johnson,nous l’approuvons puisqu’elle va dans le sens du désengagement et de la coexistence pacifique.?
Quatre décennies plus tard,comment ne pasêtre frappépar l’étonnante actualitéde ces débats,mais aussi par la cohérence,sur la longue durée,de la pensée stratégique du général de Gaulle?Il n’estévidemment pas antiaméricain:àpreuve,sa solidaritésans faille25avec le grand allié,dans les crises de Berlin26(1961)comme de Cuba27(1962).Ce qui le motive,c’est la défense de la souverainetéde la France,et donc de son autonomie de décision,contre quiconque la remet en cause,f?t-il américain.
Chef de la France libre,il a mis enéchec les tentatives anglo-saxonnes visantàréduire la France,après-guerre,àun statut de protectorat28.Chef du gouvernement provisoire de la République fran?aise,il a signéà Moscou,le 10 décembre 1944,un?traitéd’alliance et d’assistance mutuelle?,qu’il qualifie de?belle et bonne alliance?.Il faut mener,expliquerat-il?une politique fran?aise d’équilibre entre deux très grandes puissances,politique que je crois absolument nécessaire pour l’intérêt du pays et même celui de la paix?.Son départ du gouvernement,début 1946,puis l’entrée dans la guerre froide ramènent la France dans le giron29atlantique,notamment via l’OTANàpartir de 1949.
Revenu au pouvoir en 1958,de Gaulle reprend sa quête de souveraineté,fort d’un contexte en pleine mutation.Les rapports de forces Est-Ouestévoluent en raison—notamment—du renforcement de l’URSS30,y compris sur le plan militaire:Moscou,qui a fait exploser une bombe A31en 1949 et une bombe H32en 1953,peut désormais—àpreuve,le vol de son satellite Spoutnik33en 1957—atteindre le territoire des Etats-Unis.Ceux-ci substituent alorsàleur stratégie de?représailles massives?une?riposte graduée?(flexible response),fondée sur l’utilisation d’armes nucléaires sur le champ de bataille.
Ce tournant aggrave une crainte:exposés aux missiles soviétiques,les Américains ferontils la guerreàl’URSS...jusqu’au dernier Européen?La prise de conscience des limites de la garantie nucléaire américaine devrait,estime de Gaulle,inciter les voisins de la Franceà souhaiter un rééquilibrage des pouvoirs au sein de l’Alliance.D’autant que,selon Washington,?la solidaritéoccidentale,pierre angulaire34de l’Alliance,ne doit pasêtre “limitée aux problèmes de la zone nord-atlantique”mais“couvrir l’ensemble des problèmes Est-Ouest où que ce soit”?—y compris en Asie.La reconstruction deséconomies du Vieux Continent et la création de la Communautééconomique européenne—àsix pays35àl’époque—au printemps 1957 créent théoriquement de meilleures conditions pour l’affirmation de l’autonomie par rapport aux Etats-Unis.
De Gaulle espère-t-il remporter cette bataille?Tout,dans ses interventions,témoigne qu’il ne sous-estime ni la détermination de Washingtonàsauvegarder son hégémonie ni la difficultéqu’ont les capitales européennesàs’en affranchir.La France a sur ses voisins un avantage décisif:elle a fait exploser en 1963,dans le désert du Sahara36,sa première bombe atomique,et possède ainsi de quoi se défendre—le Royaume-Uni aussi,mais il est viscéralement37lié àWashington.Pour le reste,le général se sait isolé38:àdéfaut de réformer l’Alliance atlantique,il se contentera d’échapperàune intégration qui corsetait39sa politique extérieure.
Rien d’étonnant si,dans l’histoire de cette dernière,le retrait de l’OTAN appara?t comme le pivot40d’une série de gestes spectaculaires:
—le 27 janvier 1964,Paris avaitétéla première capitale occidentaleàétablir des relations diplomatiques avec la Chine populaire;
—le 30 juin 1966,de Gaulle estàMoscou,où,dans un discours radiotélévisé,il appelle Soviétiques et Fran?aisàse?donner la main?pour?faire en sorte que notre ancien continent,uni et non plus divisé,reprenne le r?le capital qui lui revient,pour l’équilibre,le progrès et la paix de l’univers?;
—le 1erseptembre 1966,àPhnom Penh41,il prend acte que la guerre au Vietnam?n’aura pas de solution militaire?et appelle les Etats-Unisà?renoncer,àleur tour,àune expédition lointaine dès lors qu’elle appara?t sans bénéfice et sans justification etàlui préférer un arrangement international organisant la paix et le développement d’une importante région du monde?;
—le 24 juillet 1967,de Gaulle conclut une allocution improviséeàMontréal,àproximité des Etats-Unis,par cette formule-choc:?Vive le Québec libre!?42;
— le 27 novembre 1967,il déclarera qu’Isra?l,après la guerre de juin43,qu’il a condamnée,?organise,sur les territoires qu’il a pris,l’occupation qui ne peut aller sans oppression,répression,expulsions;et il s’y manifeste contre lui une résistance qu’àson tour il qualifie de terrorisme?...
L’échappée belle44n’aura qu’un temps.Après la démission,puis la disparition du général,45ses successeurs — de Georges Pompidou à Fran?ois Mitterrand — referont progressivement le cheminàl’envers.Et,comme pour préparer le trentième anniversaire de la lettreàJohnson,la France réintègrera,le 5 décembre 1995,le conseil des ministres et le comitémilitaire de l’OTAN.46Héritier déclarédu général de Gaulle,le président Jacques Chirac ouvrira ainsi la porteàune réintégration de la France dans l’OTAN,que M.Nicolas Sarkozy chercheàparachever.47
☉注釋☉
1.直接普選 2.林登·貝恩斯·約翰遜,美國第36任總統(1963—1969年)。1960年,約翰遜未能獲得民主黨總統候選人提名,他便接受了肯尼迪提名他為副總統的建議。1963年11月22日,肯尼迪總統在德克薩斯州達拉斯遇刺身亡,副總統約翰遜旋即在達拉斯機場的空軍一號總統專機的機艙里宣誓就職,成為美國第36任總統。在繼任了總統一職之后,1964年,約翰遜又正式當選為總統。 3.軍事一體化指揮 4.1966年3月,戴高樂致函美國總統約翰遜,要求正式退出北約各軍事機構,并宣布在7月之前撤回受北約指揮的全部法國軍隊,同時還取消了北約軍用飛機在法國過境和降落的權利,限令美軍及其基地在一年內撤出法國。7月1日,法國退出北約組織軍事一體化機構。10月,法國退出了北約軍事委員會。北約總部從此由巴黎遷至布魯塞爾。法國退出北約組織軍事一體化機構后,僅保留北約政治成員身份。 5.為其自身考慮 6.變更;損害;歪曲 7.德懷特·戴維·艾森豪威爾,美軍五星上將,曾連任兩屆美國總統(1953—1960年)。 8.哈羅德·麥克米倫,1957—1963年期間任英國首相。 9.備忘錄 10.三方共同領導 11.cueillir qnàfroid:〈俗〉使某人措手不及12.《震旦報》,1944—1985年間法國的一份日報。20世紀60年代戴高樂主義盛行時,該報持中間立場,不支持戴高樂主義。1985年該報并入《費加羅報》。 13.社論作者 14.堡壘,支柱 15.親戴高樂派的 16.希特勒17.成吉思汗 18.帖木兒(1336年—1405年),帖木爾汗國的奠基人,帖木兒帝國開國君主(1370年—1405年在位)。 19.穆罕默德,伊斯蘭教的創復興者,也是伊斯蘭教徒(穆斯林)公認的伊斯蘭教先知。按傳統的穆斯林傳記他約于570年出生于麥迦,632年6月8日逝世于麥地那。 20.富有的,有錢的 21.《戰斗報》,該報的副標題為《巴黎日報》(Le Journal de Paris),1941—1974年間法國的一份日報。1941年秘密出版,是法國抗德組織《戰斗》的機關報。1974年8月停刊,編輯部的多數人員轉到了兩個月后創刊的新的《巴黎日報》(Le Quotidien de Paris)工作。 22.相反,對立面 23.griser:使眩暈;使陶醉 24.《人道報》,1904年創刊,早期為法國社會黨人報紙,1921年成為法國共產黨的機關報。 25.(n.f.)弱點,缺陷 26.指1961年的第三次“柏林危機”。當時,蘇聯又一次向美英法提出從西柏林撤軍的要求,事件以蘇聯在東柏林筑起柏林墻作結。 27.古巴導彈危機,又稱加勒比海導彈危機,是1962年冷戰時期在美國、蘇聯與古巴之間爆發的一場極其嚴重的政治、軍事危機。直接原因是蘇聯在古巴部署導彈,后在美國的激烈反應下,蘇聯從古巴撤出了在古巴部署的導彈。 28.(n.m.)保護國 29.懷抱 30.蘇聯 31.bombe atomique:原子彈 32.bombeàhydrogène:氫彈33.1957年10月4日,蘇聯發射世界第一顆人造地球衛星“斯帕特尼克1號”。 34.墻角石,基石;〈轉〉基礎,根基 35.這六國為:聯邦德國、比利時、法國、意大利、盧森堡、荷蘭 36.撒哈拉沙漠 37.出自內心地,由衷地38.意為懂得適時選擇孤立 39.框住,束縛 40.主要人物;支柱 41.金邊,柬埔寨首都 42.“自由魁北克萬歲!”,這是法國戴高樂總統1967年7月訪問魁北克期間,于24日在蒙特利爾市政廳的陽臺發表講話時的著名口號。 43.指1967年6月5日開戰的第三次中東戰爭,以色列稱之為“六日戰爭”,阿拉伯國家稱之為“六月戰爭”。 44.從動詞短語“l’échapper belle”(幸免)轉過來的一個名詞短語。 45.1969年4月27日,戴高樂將地方區域改革方案和參議院改革方案提交全民公決,結果失敗,戴高樂當即宣布下野,回到故鄉,1970年11月9日因心臟病猝然逝世。 46.1995年12月5日,法國在北約秋季理事長會議上宣布將重新參加北約軍事委員會,并參加北約國防部長會議 47.2009年3月17日,法國國民議會通過了法國重返北約軍事一體化機構的決定。
藍霸注釋
Le Monde diplomatique,avril 2008. △